Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

PRISON

  • ET SI ON METTAIT DES MORTS EN PRISON ?

    NO COMMENT
    Et de deux, en 2007, la justice française a incarcéré deux tétraplégiques. C'est tellement énorme, grossier [par rapport à la mansuétude & à la civilité dont elle peut faire preuve en d'autres occasions (ici par ex.)] que je me contente de faire un copier/coller du communiqué de l'OIP (Observatoire International des Prisons) paru le 26/11/2007.
     
    * * *

     


      Communiqué 

     

    Lyon : l'UHSI abusivement utilisée pour maintenir un tétraplégique en prison


    La section française de l'Observatoire international des prisons (OIP) informe des faits suivants :

    Depuis le 23 octobre 2007, N.G., tétraplégique, est incarcéré à l'unité hospitalière de soins interrégionale (UHSI) de Lyon (Rhône) alors que son état de santé est incompatible avec un maintien en détention. L'UHSI n'a pourtant pas vocation à accueillir les personnes se trouvant dans cette situation.

    Le 23 octobre 2007, N.G. a été incarcéré sur décision du parquet de Lyon alors même qu'il est tétraplégique (paralysé des quatre membres) depuis janvier 2005. Dès son arrivée à la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône (Rhône) le 23 octobre, un médecin a constaté que son état de santé est incompatible avec un maintien en détention. Malgré l'existence dans cette maison d'arrêt d'une cellule prévue pour l'accueil de personnes handicapées, le soignant a considéré que N.G. devait immédiatement quitter la prison et a demandé son admission à l'UHSI. Celle-ci a eu lieu le jour-même. Pourtant, comme l'a souligné le garde des Sceaux le 16 février 2004 lors de l'inauguration de la première unité de ce type à Nancy, « une UHSI est une structure hospitalière à part entière, [qui] a une compétence médico-chirurgicale [et] vise à accueillir des détenus dont l'état de santé justifie une hospitalisation ». Or, selon un médecin de l'UHSI de Lyon, l'état de santé de N.G. ne nécessite « en aucune manière une hospitalisation », celle-ci pouvant même être « délétère » de par l'immobilisation imposée au patient.

    En effet, N.G. passe ses journées enfermé dans sa chambre, à l'exception des temps de parloir et, l'UHSI ne disposant pas de cour de promenade, toute sortie à l'air libre est impossible. De plus, l'unité ne dispose d'aucun personnel spécialisé pour assister N.G. dans l'accomplissement des tâches quotidiennes qu'il ne peut assurer seul. C'est donc le personnel soignant qui s'efforce de le prendre en charge.

    Condamné en février 2006 à 30 mois de prison par le tribunal correctionnel de Lyon, N.G. n'avait pas vu sa peine mise à exécution par les services du procureur de la République de Lyon. Le 23 octobre, le parquet, qui connaissait l'état de santé de l'intéressé, a choisi de l'incarcérer plutôt que de saisir le juge de l'application des peines d'une demande de suspension de peine pour raison médicale. Sollicité par l'OIP, il n'a pas souhaité apporter d'éclaircissements sur cette décision. Une telle demande d'aménagement de peine a depuis été déposée par l'avocat de N.G.

    Déjà, le 19 juin 2007, l'OIP avait alerté sur la situation d'une personne paraplégique maintenue en prison au sein de l'UHSI de Lyon, et ce malgré l'incompatibilité de son état avec la détention. Cette dernière est toujours incarcérée dans le cadre d'une procédure d'extradition et a été transférée à l'établissement public de santé national de Fresnes (Val-de-Marne). Son avocat a déposé une nouvelle demande de mise en liberté qui sera examinée le 28 novembre prochain. Le rapport d'activités de l'UHSI indique quant à lui qu'au cours du second semestre 2006, deux personnes paraplégiques ont également été admises dans l'unité.


    L'OIP rappelle :

        * qu'aux termes de l'arrêt Farbtuhs, rendu par la Cour européenne des droits de l'homme le 4 décembre 2004, constitue un traitement inhumain et dégradant le maintien en prison d'un homme « paraplégique et invalide à tel point qu’il ne pouvait pas accomplir la plupart des actes élémentaires de la vie quotidienne sans l’assistance d’autrui », quand bien même les autorités ont fait des « efforts considérables pour alléger son séjour en milieu carcéral » ;

     


    *  *  *

    JUST A LITTLE COMMENT...
    Et je me pose une question, ne pourrait-on pas mettre des morts en prison ? Pour qu'ils s'y finissent leur peine, ou dans le cas où l'on aurait prouvé leur culpabilité après leur décès ? Vous trouvez mes paroles indécentes, déplacées, choquantes... pourtant, il y a beaucoup de malades du SIDA qui y séjournent actuellement. Par contre pour Papon...

  • LA PRISON À MI-TEMPS, çA N'EXISTE PAS, OU SI PEU.

    Il y a peu de temps, on nous a répété, par tout média existant, que dans notre pays les détenus ne faisaient que la moitié de leur peine, plus personne, même au plus profond de nos campagnes, n’ignore ce fait qui est devenu acquis.

    Ça faisait suite aux méfaits de ce pédophile récidiviste qui n’avait pas effectué sa peine en totalité. La Ministre de la Justice, se devant de réagir à chaud, nous a promis des lois plus restrictives.
    Et quand on établit de nouvelles répressions pour cette catégorie de délinquants, dans la foulée, elles servent aux autres ; juste se souvenir du fichier génétique, qui à la base leur était destiné et qui est imposé aujourd’hui à tout détenu, faucheur volontaire, syndicaliste, y compris. (400 000 français y figurent!)

    On avait entendu N. Sarkozy en campagne tenir ces propos : «Je ne comprends pas […] pourquoi un condamné ne fait que la moitié de sa peine et pas la totalité de celle-ci.» le 7 mars 2007 lors d’une rencontre avec les lecteurs de Sud Ouest. Rachida Dati rajoutait plus tard : «Je ne veux plus qu'un condamné sache d'emblée qu'il n'exécutera pas la totalité de sa peine».

    Ce discours pernicieux va imbiber pour longtemps le cerveau de futurs jurés qui auront tendance à être plus généreux au niveau du nombre d’années à distribuer, ils multiplieront leur demande de peine par deux et oui, en France, on sort à moitié peine. C’est presque un appel à la délinquance.

    Peu après, Il y a eu la conditionnelle de Bernard Cantat et la lettre de la mère de Marie Trintignant envoyée à la présidence de notre République. Cette dame, dont je respecte infiniment la douleur, avait mal été renseignée par ses avocats.

    En correctionnelle, le jeu ne changera pas, car les juges savent eux.

    Ils savent que cette affirmation est un mensonge. Pour pouvoir sortir en conditionnelle il faut remplir certaines conditions, la plus importante se nomme «promesse d’emploi». Le genre de promesse que l’employeur a intérêt à tenir, sous peine de poursuites pénales, pas de celles dont usent et abusent certains hommes politiques d’après Pasqua. Et, ce type de patron n’est pas courant.

    Quand on est connu (Cantat, Le Floch et bien d’autres VIP) l’emploi on l’obtient plus facilement. Chez ces gens-là, monsieur, on l’obtient la mi-peine. Faute avouée (ou pas) est à moitié pardonnée.

    Mais, pour l’énorme majorité des condamnés, la tâche est plus dure, carrément impossible.

    Vous en connaissez beaucoup vous des entrepreneurs prêts à embaucher un détenu ?
    Déjà, des qui embauchent des employés «normaux» il y en a de moins en moins, voir du côté de la crise de l’emploi.
    Vous en connaissez, qui vont embaucher un détenu qui a passé son CAP de pâtisserie en prison et qui en plus a un patronyme à consonance française nord-africaine ?

    Si la famille du détenu, malgré ses multiples démarches désespérées et minée par cette impuissance, n’arrive pas à trouver une promesse d’emploi, le détenu n’a comme solution que d’éplucher les offres d’emplois, il est aidé par un travailleur social en taule.

    Tiens, aujourd’hui, pour nous, il entoure une offre qui correspond à son cursus, il y a un numéro à contacter.
    Vous imaginez la scène, il faut appeler l’éventuel employeur, lui proposer votre candidature, lui parler de vous, lui expliquer d’où vous appelez, vous montrer persuasif et sûr de vous, le travailleur social en attestera si besoin. En général, on vous dira qu’il faut un type dans l’immédiat, l’entretien sera clos poliment.
    On est dans un bon jour, il veut vous rencontrer, alors faut travailler durement avec le travailleur social qui vous suit pour tenter de demander une autorisation de sortie pour le jour « J » et faut pas se rater ce jour-là.
    De toute façon, c’était pour remplir du blanc, ce genre de rencard n’existe pratiquement pas, sauf avec une association, s’il reste des places.

    Autres conditions pour demander une conditionnelle : ne pas être en état de récidive (ça retarde), avoir un lieu de résidence favorable à sa réinsertion ; d’autres nombreux éléments entrent en jeu

    Le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a estimé le 24-9-2003, que la libération conditionnelle était «l’une des mesures les plus efficaces et les plus constructives pour prévenir la récidive et pour favoriser la réinsertion sociale des détenus dans la société». En Suéde, par ex, elle est accordée d’office.

    567ed106bdc01de7d07543205cbe5989.jpg En France, elle concerne une part sans cesse décroissante des libérés, en 2001, 9,2% en bénéficiait, en 2004, 5,8%, une évolution confirmée en 2005 (5 866 demandes en 2004 contre 5 671 en 2005). Finalement, la liberté Conditionnelle ne concerne que très peu de détenus.
    Elle est attribuée par le JAP , et ils n'ont pas tous la même vision de leur profession.

    De plus, les conditionnelles sont délivrées après une période effective de détention de plus en plus longue, au minimum après les 3/4 de la peine.

    Malgré tout, rien ne "les" empêchera de voter de nouvelles lois.

    Tous les chiffres cités viennent du Guide du sortant de prison, édité par l’OIP.(Observatoire International des prisons)

  • LA GARDE À VUE [Nouvelle 11 - Part 01]


    C’est un mercredi, un mercredi 13 des années 90. Ils viennent d'emménager et Martin a quelques travaux à faire dans la maison, du genre poser : des étagères, des tringles à rideaux, des crochets... Cécile, sa compagne, est institutrice. Ils ont un garçon de 4 ans, Léo.

    Martin effectue depuis quelques jours des démarches administratives, il veut se mettre à son compte comme formateur. Il donne déjà des cours d'informatique – comme salarié — pour un centre de formation, la rentrée est dans deux jours. Il semble enfin avoir trouvé sa place dans ce grand troupeau dont il avait la sale impression d’être exclu. Leurs salaires permettent de louer ce rez-de-chaussée de villa dans un quartier semi-résidentiel. C'est une belle journée, du soleil partout, un succédané de La petite maison dans la prairie.

    Mais le décor, son corps s’en fout, il est parcouru de frissons, ses articulations le font souffrir, il a froid puis chaud et il sue, il a encore plus froid alors que des promeneurs en short passent devant ses fenêtres, dans la rue, ils discutent en riant.
    Ça s’appelle le manque. Les utilisateurs de stupéfiants connaissent et redoutent tous cet état. Martin se dope. Il n'y a pas grand monde au courant, juste les quelques avec qui il partage cette particularité. Il ne sait plus vraiment rire.

    Il ne cherche pas le flash qui laisse sur le cul, non, juste être bien, effacer le malaise. Dans le temps, il pensait gérer, maintenant il a compris à quel point le produit l’a manipulé. Sa compagne ne se rend pas compte qu'elle vit avec un toxico. Il la trompe. Il voudrait lui en parler, elle l'aiderait, mais le courage lui manque, comme un gosse, il remet toujours. En attendant il snife dans les chiottes, en cachette, jamais il ne pique du nez, mais il n'est pas particulièrement fier de sa personne.

    Ce matin, Cécile est sortie faire des courses, accompagnée de Léo. Vers onze heures, Yves — l'un de ceux avec qui il partage sa particularité — téléphone, il demande à être dépanné, ce qui est clair dans leur jargon, il cherche de la dope. Martin reste vague, il ne veut pas s'étaler, il se méfie des écoutes. Ils se fixent rendez-vous pour le début d'après-midi. Martin devant se rendre à la banque, afin de déposer des papiers pour une demande de prêt, le lieu du rencard sera fixé sur son itinéraire.

    Martin lui apprendra alors qu'il n'a plus rien depuis la veille et qu'il compte sur lui pour ne pas être malade prochainement. C’est comme ça dans ce milieu, celui qui vend un jour devient client de son client quand son plan est tari.

    Il est rongé par ses contradictions, il ne peut continuer à mentir, Cécile ne le mérite pas, et puis il y a Léo qui pousse sur ce mauvais terreau ; il désirait être un bon père, ne pas reproduire, c’est raté. Il ne s'aime pas, il n’aime pas cette double vie, déchirée par une ligne blanche ; d'un côté l'habit du citoyen lambda, de l'autre celui du drogué revendeur, carnaval intime si peu reluisant. Et il n'est bien nulle part. Il n'est satisfait momentanément, que lorsqu'il l’a reniflé, cette ligne.

    Comment réagira-t'elle ? Bien sûr, elle ne va pas apprécier, il lui ment depuis des mois. Bien, mais après cette première réaction, naturelle, elle va l'aider, certain quand il y réfléchira, un peu trop tard. Il remet, lâche et toxico, ça va si bien ensemble. Peur de la réalité, il pense à sa mère méditerranéenne quand, enfant, elle lui chantait : Aujourd'hui peut-être, peut-être demain...

    A priori, Martin a tout pour être bien, une femme, un enfant, un boulot qui lui plaît, un joli cadre de vie, et il nie l'évidence, il pourrit la situation. Il a  ses raisons, il y a un truc qui cloche dans son passé.

    Une sale journée s’annonce, il ne tiendra pas longtemps, son dealer l'a oublié, ça n'est pas grave pour lui. Deux jours de plus ou de moins, pour encaisser ce n'est rien, de toute façon, il encaissera, le client ne partira pas, il a trop besoin de lui.

    Deux jours de manque, c'est un tas de minutes à compter ; c'est aussi un beau paquet d'idées fixes, bien noires, qui se réveillent, patientes elles attendent toujours qu'on règle leur compte. Après le repas, il réunit les documents dont il a besoin pour la banque, puis il embrasse Cécile. Léo s'amuse avec le fils du voisin, il ne s'aperçoit pas du départ de son père. À quoi bon le déranger dans ses jeux, Martin sera de retour dans une heure ou deux. L'enfant ne verra plus son père durant un an, sans explication qu’il puisse comprendre.

    En montant dans sa Volvo blanche, il constate qu'il a aux pieds de vieilles sandales d'été, mais il a la paresse de remonter en changer, après tout il ne doit sortir de l'auto que pour pénétrer et ressortir de la banque, elles suffiront pour ces quelques pas. Dans le vide-poche, il y a des pastilles facilitant la digestion, il en glisse une dans la bouche. Elle va laisser une trace blanche aux commissures des lèvres, une trace qui aura une conséquence disproportionnée.

    Il actionne la clef de contact, il klaxonne en passant devant la maison. La journée est ensoleillée, les couleurs de l’automne commencent à grignoter celles de l’été, il y a des tourterelles un peu partout, dans les arbres, sur la route, les toits et les fils électriques. Elles décollent et se reposent aussitôt.

    Cinq minutes plus tard, il est à l'endroit convenu avec Yves, tout est désert, anormalement désert. Une large avenue bordée de villas avec jardin. Il se gare près du trottoir pour ne pas gêner la circulation, il coupe le moteur.

    Tout se passe très vite, en deux secondes l'endroit est surpeuplé, c’est à cet instant que sa vie bascule.

    (à suivre) 

  • LA MOUSSE [Nouvelle 08]

    Sur la liste, il y avait quantité de noms inscrits avant le mien. Certains avaient déjà acquis une belle notoriété dans leur spécialité, d’autres avaient fait la une de divers journaux, les meilleurs avaient eu droit à leur heure de gloire grâce à des passages furtifs sur les chaînes de télé. Mais, cela n’a pas compté aux yeux du directeur du centre socio-culturel.

    Il a lu mon dossier attentivement, m’a posé quelques questions, afin de cerner ma personnalité et finalement, m’a annoncé que je commençais le lendemain. Le temps passerait mieux en travaillant. De plus, ce poste me convenait tout à fait, j’aime les livres, c’est physique.

    Une semaine après avoir déposé ma candidature, j’étais bibliothécaire. Six mille livres et des tas de revues, dans sa catégorie, la bibliothèque était une des plus importantes du territoire. Trois cents personnes postulaient à cet emploi et c’était moi l’élu.

    Les jours ouverts au public, trois par semaine, je restais derrière un bureau sur lequel était posé un ordinateur. Chaque livre avait une référence, chaque lecteur un numéro. Il me fallait saisir les deux sur la même fiche du logiciel quand le deuxième se présentait à moi avec le premier sous le bras. La durée de l’emprunt ne devait pas dépasser la quinzaine.
    Les deux autres jours, je faisais du rangement, je réparais les couvertures abîmées, je lisais et je pensais. À force de penser, je m’abîmais.
    Mon prédécesseur à ce poste, qui m’avait formé avant d’être muté ailleurs, avait choisi un rangement par thèmes, rayon roman, rayon scientifique, Arlequin — peu lu — historique et un rayon «divers».

    Au bout de quelques semaines, je connaissais tous les lecteurs de l’endroit, bien qu’il y ait beaucoup de mouvement. J’avais échangé quelques mots avec tous ; même les plus timides, les plus primitifs me serraient la main et me demandaient conseil sur les bouquins. Il y avait des groupes qui se formaient, de grandes tables leur permettaient d’échanger confortablement des idées et des paroles,.

    Presque tous, sauf un.

    J’étais entré en fonction le lundi suivant l’entretien avec le directeur. Et, je l’avais remarqué, il était là, le premier à l’heure d’ouverture. Il venait tous les lundis, il restait planté devant le rayon histoire.
    Il était à la recherche de toutes les biographies existantes, sur toutes sortes de personnages historiques. Sa fiche m’avait appris qu’il avait déjà consulté les trois quarts du rayon. Il n’était inscrit que depuis trois mois, une biographie est bien souvent aussi épaisse qu’un bottin téléphonique, il repartait toujours avec trois volumes, c’était un gros consommateur.

    Personne ne lui adressait la parole. Mon prédécesseur m’avait conseillé de me tenir à l’écart de ce type, «que c’était le genre à ne plus se décoller de sa proie», je n’avais pas saisi la métaphore et, pas posé de question.

    Un autre lundi, je rangeais des livres sur des rayons, mes yeux ont traîné brièvement dans sa direction.
    Sans demande de ma part, il a saisi ce regard fugitif comme s’il s’agissait du filin lancé du paquebot au naufragé.

    Il m'expliqua qu'il passait tout son temps à faire un arbre généalogique et qu’il fallait que je lui récupère toutes les biographies dont il avait noté les références sur une feuille qu’il me donna.

    Jusqu'à cet instant, je pensais famille pour ces arbres-là. Lui voyait immense, l'arbre de France, partir de Charlemagne, et terminer par lui-même.

    — Pourquoi Charlemagne ?
    — Parce que c’est le personnage le plus ancien du rayon !

    L’homme était petit, rond, dégarni et brun. Il ressemblait à une poupée russe aplatie dans un miroir déformant. Ses yeux sombres, fiévreux étaient trop rapprochés. La vie n’avait pas dû être simple pour lui, il était parti avec un fort handicap.

    Quand il conversait, il y avait toujours de la salive qui reliait ses lèvres. Aussi, en l'écoutant par politesse, je m’accordais le droit de porter mon regard sur ce phénomène et je ne voyais plus que cet endroit.
    Je regardais sa bave, j’avais tout temps, plus ses lèvres s'activaient plus la mixture semblait épaisse, consistante. S'étirant en minces filets blancs quand sa bouche s'ouvrait pour laisser passer un mot ; créant un petit monticule moussant sur la lèvre inférieure, comme de l’écume.

    Je ne sais pas pourquoi je réagissais ainsi, sans doute le contexte ; si cette rencontre se produisait aujourd'hui, je suis sûr que je n’agirai pas de la même manière, sans doute le lieu. Je regardais, je l’écoutais pas.


    Quand il se présentait au guichet, pour rendre les ouvrages, j'évitais de prononcer la formule : « Comment ça va ? », très usitée lorsque deux personnes se saluent dans notre pays. Juste un « Bonjour » neutre et bref.

    Je ne lui demandais jamais si ça allait, je redoutais les conséquences, ses confidences. Je me contentais d'enregistrer ses retours et ses emprunts le plus simplement possible ; pas de commentaire, même pas sur la météo, pour finir peu généreusement avec un : «à lundi prochain !»

    Mais un jour, il me prit à l'abordage. Il me demanda si je savais ce qu'était un enfant et si j'aimais ça, les gosses ?

    Je lui répondais qu’il était bien tombé, que j'en avais deux, une grande, un petit, une fille, un garçon. Je lui faisais part de mon inquiétude concernant ce sujet, tout en l’amenant vers la sortie. En effet, si j'en avais eu un troisième et que la nature eut voulu respecter cet équilibre parfait, aurait-il été androgyne ? Quelle taille aurait-il ? Malgré leur incohérence, il sembla satisfait par mes propos, il me le manifesta par un sobre acquiescement de tête. L’hermétisme volontaire de mes allégations, portées par un grommellement, ne l’avait en rien dissuadé. Il était satisfait.

    En vérité il se foutait de ma réponse. Peu lui importait qu'elle ne soit constituée que de mots qui se suivaient sans aucun sens précis, il voulait entrer, c'était tout.

    Les enfants étaient la clef avec laquelle il avait trouvé l’entrée, il ne lui restait plus qu'à prendre possession des lieux. Il pouvait déposer ses obsessions, ses tracas, en vrac dans ma tête ; il avait enfin trouvé quelqu'un avec qui les partager. Il n’y avait plus que nous dans la salle, c’était l’heure de la fermeture pour les abonnés. Il avait trouvé la faille.

    Vite, il fallait qu’il parle vite avant de sortir, aurait-il une autre occasion ?. Je n’avais aucune envie de l’entendre, j’avais mes problèmes, je savais que les siens ne régleraient pas les miens.

    Lui aussi avait des enfants, il les adorait et ils le lui rendaient tellement bien... Enfin, tout cela c’était du passé, maintenant il ne les voyait plus du tout.


    — À l’heure où je vous parle, ils ont un nouveau papa. Ils sont obligés de l'appeler Papa, sinon il les tape…

    Lui avait confié sa petite dernière, en s'accrochant à sa jambe, un jour de visite. Lequel, je ne sais pas, car il me livrait le tout dans le plus profond désordre.

    — Leur nouveau papa est un maquereau, me précisa-t-il.

    Il s'excitait en se confiant, il avait un débit très rapide, il profitait à fond du bonheur que je lui offrais : l’écouter. Il devait être très seul.
    Mon oreille était comme un entonnoir, ses mots s'écoulaient, son débit saccadé me saoulait. Il en profitait.

    Et toujours cette salive malaxée, à l'apparence d’un blanc d’oeuf battu en neige, installée dans les coins de sa bouche. On m’a dit bien plus tard que les neuroleptiques procuraient ce genre d’effet secondaire. Ses yeux étaient encerclés par un trait sombre, constitué d'épais sourcils et de cernes consistants.


    Il me confirma qu’il avait bien vu que sa femme lui criait quelque chose, mais il n'avait pas compris. Il était au volant de la voiture, le moteur tournait, elle était debout, au milieu de la rue, les mains sur les hanches, devant tous les voisins, elle le provoquait, le ridiculisait encore une fois, en public.

    Alors, il n'avait pas hésité, il lui avait foncé dessus, il était passé sur ce corps. Méticuleux, il avait rajouté une marche arrière, pour toutes ces d’années d’humiliation. Puis, il avait garé sa voiture, sans aucun regard pour le corps.

    Il avait rejoint le bar le plus proche et avait prévenu la police. Le patron du troquet lui avait répété ce qu'elle avait crié : « Vas-y, fais-le si tu es un homme, qu'elle t'a dit ! »

    Donc, sans comprendre ses paroles, il le lui avait prouvé, c’était bien un homme…
    — Elle est allée trop loin ! Il savourait son dernier cognac en se confiant au bougnat. Elle est allée trop loin, si tu savais…


    Quelque temps auparavant, à Marseille — il vivait dans cette ville —, « ils » — j’avais compris sa femme et son amant — lui avaient enlevé ses gosses. « Ils » les avaient emmenés dans la capitale. « Si tu essayes de les revoir, on te tue ! », lui avait téléphoné sa femme.

    La défiant, il y était allé, mais il avait failli se tuer tout seul dans un accident de la route, il avait dû rebrousser chemin après un séjour à l’hôpital, et personne n’avait pris en compte cette preuve d'amour, de courage.

    Il était devenu la risée de son quartier, tous ces gens riaient de lui, même ses anciens amis, même les commerçants, ceux-là mêmes chez qui il dépensait son argent quand il existait encore ; « cocu » qu'il entendait, qu'il voyait dans leur regard.

    Il y avait ceux-là, mais en quittant la rue, il rentrait chez lui et il y avait sa famille, avec ses regards et ses sous-entendus.

    Alors, désespéré, il avait essayé de se suicider deux fois, sans parvenir à sa fin. Les comprimés qu’il avait avalés n’étaient pas assez puissants, il avait dormi presque trente-six heures d'affilée. L’anneau auquel il avait noué la corde s’était descellé au mauvais moment, le bloc de ciment qui le tenait, lui avait déplacé une épaule. Accentuant par son incapacité à mourir, le ridicule qu'avait occasionné son incapacité à exister.

    Il était allé se plaindre à la police, au juge, du fait qu'il ne pouvait plus voir ses enfants, mais sa femme l'avait devancé dans tous ces endroits où il aurait pu trouver de l'aide. C’était elle la responsable sur le Livret de Famille. Aucun ne le croyait, il n'intéressait plus personne, il n'était plus crédible. Il avait besoin d'une amicale oreille à qui se confier, il n'en trouvait pas, plus rien ne lui prêtait un semblant d'attention, sauf moi, acculé.

    Il  avait beaucoup de temps de libre devant lui, quinze ans au moins. Peut-être, tentait-il en créant son arbre généalogique universel de retrouver quelle était la cause génétique de son malheur présent.
    Qui en était responsable ? Pourquoi en était-il là ?

    Il était en colère, on lui avait donné la vie, toutes les questions qui vont avec et pas de mode d'emploi, ni de réponse toute prête à cocher, comme dans les tests qu’on lui avait fait passer. Tout était compliqué.


    Je refermais la porte derrière lui. Une heure, de rangement de rayons, plus tard, je franchissais la même porte, je descendais un escalier en colimaçon, sans fenêtre. À l’arrêt devant une porte, je sonnais à l’aide d’un bouton placé à cet usage. Il était relié au QG de surveillance du bâtiment, un type en uniforme bleu devait regarder une lumière rouge clignoter sur son plan de travail. Il devait aussi regarder ma tête dans l’écran correspondant à la caméra qui me filait depuis la bibliothèque. Il me connaissait, il appuya sur le bouton rouge qui passa au vert, ma porte se débloqua, j’arrivais au nœud central de la Maison d'arrêt.

    Un long couloir sans fenêtres, fortement éclairé par des néons, me mena tout droit à ma cellule, j’étais heureux d’y trouver une lettre, glissée sous la porte par le surveillant, à l’extérieur des personnes m’aimaient encore.

    FIN