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L'HOMME QUI VOULAIT RENDRE LES GENS HEUREUX

Durant une autre vie, celle où je travaillais encore, où je n'avais pas encore atteint ma date de péremption, j'ai occupé un poste d'animateur dans un centre d'accueil d'urgence. Pour ceux à qui ce terme ne dit rien, ceux qui donc n'ont jamais connu la vie de SDF, il s'agit d'une structure qui héberge dans la journée ceux qui n'ont plus de toit.
Dans mon cas, ce lieu comprenait une grande cours où l'on pouvait se détendre ailleurs que sous le regard culpabilisateur des passants honnêtes et une salle servant de lieu de repas et de réunion.
J'animais un atelier d'écriture qui avait débouché sur la création d'un journal rédigé à moitié par les "accueillis" — on avait du mal avec le terme SDF— et l'autre par ceux de l'équipe sociale.
J'avais été embauché dans le cadre d'on contrat CES à mi-temps et je faisais cadeau de nombreuses heures de bénévolat pour arriver à mes fins.
Mon contrat n'avait pas été reconduit au bout d'une année, car les religieux qui géraient la pauvreté dans la ville et donc dans ce lieu, ne voulaient faire travailler que des bénévoles. Malgré la rancune que j'en ai gardée envers les dirigeants, je dois dire que cet emploi m'a profondément marqué.
Les gens de la rue se confiaient souvent à moi, j'effectuais uun travail d'écoute comme me disaient les pros du social, et l'histoire de leur vie ne me rendait que rarement gai.
Il y avait un bistrot sur le trottoir d'en face et même une cave à vin un peu plus haut ce qui irritait profondément les responsables qui faisaient la guerre à l'alcool dans l'enceinte, voilà pour le cadre.

Parmi les habitués, j'avais mes préférés et ce jour-là l'un d'entre eux, Rachid, était installé à la terrasse du bistrot, sa tasse était vide, et son regard aussi, il braquait le trottoir d'en face. Je mangeais un sandwich tout en survolant le quotidien du jour. Et, de temps à autre, je regardais Rachid qui fixait toujours le même endroit. Je me demandais s'il n'était pas endormi par son traitement.

À cet endroit, une femme se baissa et ramassa un objet qu'elle regarda de plus près, puis esquivant un petit sourire, elle le glissa dans son sac et reprit son chemin. Le visage de Rachid s'illumina d'un grand sourire, content de cette scène.

Il se leva et traversa la rue, il déposa quelque chose sur le trottoir, au même endroit que celui où la femme s'était accroupie. Il revint s'installer à sa table sans même m'apercevoir. Il semblait épanoui, je le connaissais plutôt triste et souvent abruti par ses médocs.

L'instant d'après, un homme ayant dépassé la soixantaine, se baissait à grand-peine pour prendre ce que Rachid avait déposé. Lui aussi repartit avec un sourire aux lèvres. Je regardais Rachid qui était aux anges.

La troisième fois, ce fut une jeune mère qui poussait son landau, elle se baissa prestement, ramassa et sourit à son bébé. Rachid sourit tout seul.

C'était la fin de ma pause — cinq personnes s'étaient ainsi accroupies — en quittant le bistrot, je fis une halte à hauteur de Rachid, j'étais curieux de savoir quel objet il offrait ainsi à tous les passants et pourquoi ça le rendait si heureux.

Ses yeux brillaient de 999 feux — je n'aime pas les expressions toutes faites — il me raconta qu'il déposait soit une pièce de 10 francs soit un billet de 50 francs. Il le faisait dans le but de rendre les gens heureux et surtout il voulait constater la joie qu'il pouvait créer.

Il était sous tutelle et dépendait donc de quelqu'un qui gérait son allocation d'adulte handicapé. Dès qu'il touchait son pécule hebdomadaire, il en claquait la moitié à rendre les gens heureux ; les mêmes ou presque qui le regardaient d'un air dédaigneux lorsqu'il somnolait sur un banc.

Commentaires

  • Ton écriture aussi peut rendre les gens heureux (en tout cas, faire du bien à leur penchant mysanthrope...).
    Merci.

  • Elle est trop belle, ton histoire. On ose à peine déposer un commentaire, de peur de l'abimer.

  • Alors? Quand c'est que tu publies? Toujours de belles histoires qui se perdent dans le filet (the Net). Nous sommes nombreu-ses-x à attendre. Dommage de cacher un tel talent. Je te l'ai déjà dit.
    Amicalement

  • bonjour emcee, non non, elles ne sont pas perdues dans la toile. Si le Net n'existait pas, je ne me ferais pas violence pour écrire ces quelques lignes, sans grand espoir... ni désespoir.
    Pour remplir un livre faut remplir des pages et des pages. Et puis se faire publier n'est pas simple, je ne suis ni présentateur tv (même télé-achat), ni un jeune premier aux dents longues et blanches, ni, hélas, un génie.

    Tu m'avais parlé de Filaplomb dans le temps, j'ai fait quelques envois et ça ne s'est pas fait.
    Il y a une solution, je fais fabriquer mon livre (je suis maquettiste) et je le vend sur mon blog...
    Tu es certaine que vous êtes si nombreu-ses-x que ça ??

  • je vais essayer de continuer, c'est motivant de tels commentaires, merci agnés

  • Pas besoin de remplir des pages, juste un recueil de tes petites nouvelles sur des tas de sujets comme tu le fais ici. Pour commencer.
    Ah, bon, ça n'a pas marché avec Filaplomb? Je pensais que tu avais abandonné l'idée.
    Oui, je sais, pas facile de se faire publier.
    Nombreux-ses, je ne sais pas, mais pas mal quand même. Je suis sûre qu'Agnès te donnerait un coup de main, céleste et Jardin aussi. Moi, mon lectorat est limité (et c'est sans doute le même que les précédentes, d'ailleurs). Mais je peux aussi. Après faut voir.
    Il y a toujours des chaînes de solidarité sur le net.
    Donc, cela ne coûte (presque) rien de tenter.

  • Waw, très bon blog, je vous remercie pour votre aide, et je "plussoie" moi aussi complètement votre positon. Permettez-moi d'insister, votre site est excellent, je reviendrai régulièrement vous lire. Pardon pour les fautes éventuelles, n'étant en effet pas francophone, j'ai utilisé un outil de traduction en ligne.

  • Entre bonheur des uns et bonheur des autres... et si le véritable valeur de ce monde n'était que le bonheur?

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