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  • FILM AU VILLAGE [Nouvelle 05 - Part 2]

    (suite)

    Ils étaient soulagés, car tout était prêt pour le tournage du lendemain, les acteurs arriveraient dans une limousine blanche vers huit heures trente, suivis de l'équipe au complet, c'était une info que Léa avait glanée et qu’elle essaimait. Elle était dans le secret quant aux noms des acteurs. La vedette masculine était Robin Renucci, pour l’actrice, c’était une grosse pointure…

    Le directeur de l'agence avait voulu tenir son rôle, il n'aurait rien à dire, juste à tendre un imprimé à un client, et la scène devait être très courte, sans dialogue, mais il ne voulait pas donner sa place.

    De plus, il n'était pas certain que cet endroit soit retenu, c'était trop petit et trop sombre ; « il y aura un choix et peu d'élus… », précisa Léa, qui ne supportait pas le banquier. « Sinon, ils la feront en studio », elle rajouta.

    Assis derrière son guichet, il devait servir son frère Jeannot qui était la doublure lumière de l'acteur principal ; la femme et le fils du directeur faisaient office de clients assis qui attendaient, ils étaient parfaits. Et pas question de picoler, seulement du café.

    Frank, le caméraman, décida de doubler une prise, il en parla à Sonia, la chef qui le proposa à Alex, l’assistant metteur en scène. Il fut décidé de faire une seconde prise du Directeur, seul derrière le guichet, sans aucun client, car ceux-ci ne servaient à rien, ils gênaient même, le local était trop petit d'après Frank.

    Luigi, le bel et brun preneur de son, fit sortir Jeannot et les deux autres figurants de la famille ; il les accompagna à la terrasse de «Chez Lucette» afin de fêter cette journée bien remplie et offrit à boire à tous les clients du bar. C'était une super équipe. Ils voulaient laisser un bon souvenir, au cas où ils repasseraient dans le coin, boulot ou vacances.Après leur départ, Frank referma la porte de la banque, discrètement il tourna le verrou, puis les talons ; il se retrouva face à Sonia et Alex, constata qu’ils avaient la mine réjouie, supposa que la sienne était dans le même état ; pour finir — ce paragraphe —, il tira une grande claque au directeur
    Le temps de boire deux ou trois — ou quatre — apéritifs, on les a vus ressortir de l'endroit, apparemment, ils avaient fini leurs essais, car ils avaient l'air tout contents de vivre. J’aurais bien aimé faire ce genre de boulot.

    Ils traînaient leurs grosses malles. On est allé les aider, on a tout déposé dans la chambre de montage et l’on est tous repartis chez Lucette, en fait c'était devenu le Q.G. de la production. Le village était construit autour de sa place ; le bar, la banque, l’épicerie, le bazar donnaient tous sur ce lieu. Seule l’auberge était un peu excentrée.

    — Et mon mari, il est où ? qu'elle a demandé, la femme du Directeur.
    — Le tournage l'a retardé dans un travail qu'il devait absolument terminer. Il nous rejoindra dès qu'il aura terminé, on l'a prévenu qu’on faisait la fête en face. Ne vous inquiétez pas madame, buvez, c'est un grand film, je le sens.

    Il était si mignon ce Luigi, et il parlait si bien, elle aurait pu l'écouter toute la soirée et plus, s'il voulait parler encore et toujours ; son mari était si triste, si prévisible, il préférait travailler, tant mieux pour elle.

    L’instant de folie du village, Lucette n'en pouvait plus de bonheur, l'ardoise MKVI frisait les 1500 euros et il y avait encore deux ou trois bonnes journées à venir, avec l'équipe au complet, ça promettait. On en reparlerait d’ici des années.

    Vers 22 heures, l’équipe décida d’un dîner sur la côte. Frank demanda au maire la permission d'emmener Léa pour la soirée, elle lui fut accordée ; ils partirent en chantant, le « Toyota » avait un Klaxon rigolo, ils avaient bien bu, mais ils semblaient bien encaisser l'alcool

    Après leur départ, on est resté chez Lucette, elle a offert sa tournée et on a décidé de l'aider à rentrer les tables de la terrasse et à balayer la salle du bar ; jamais on n’avait fait des trucs pareils avant ce tournage. On vivait un moment rare dans l’histoire du village, on le ressentait.


    Et puis, la femme du banquier a rompu le charme, elle s'est mise à penser à son mari. Elle a eu un peu la honte, elle l'avait simplement oublié durant presque quatre heures, un record, mais maintenant fallait émerger. C'est ce qu'elle fit en posant le balai qu'elle tenait et en se rendant à la banque.

    Elle avait un mauvais pressentiment en s'approchant, qu'elle dira après, tu parles. La porte en verre était close, malgré les coups de sonnette, son mari n’apparaissait pas, il n’actionnait pas l’ouvre porte.

     « Il a dû avoir un malaise, les éclairages ont augmenté la température du minuscule bureau », elle ne savait pas quoi penser. Elle l'avait oublié, elle commençait à culpabiliser. Elle se retrouva dans l'appartement qu'ils occupaient au-dessus de l’agence, elle en redescendit avec un double de la clef de dessous. Elle entra dans le sas et se mit à hurler juste après.

    Le Directeur était scotché à son bureau, il avait un autocollant NKVI, panthère sur soleil, collé sur le front. Ils avaient passé trois rouleaux, marron et larges, comme s’ils avaient voulu le momifier. Ils s’étaient fournis au Bazar où on leur avait ouvert un compte, car ils voulaient faire travailler les autochtones, qu’ils nous avaient dit.

    La momie demeura muette tant qu'elle eut la bouche hermétiquement close, ce qui ne dura pas puisqu'il fallut bien à un moment lui enlever ce bâillon adhésif. Alors, le directeur ne se donna pas la peine de se dominer, lui qui était si lisse, si poli se mit à vociférer comme une bête chaque fois qu'on tirait un bout d’adhésif avec des poils ou des cheveux qui jusqu’à cet instant, lui appartenaient. Si on avait su, on aurait libéré la bouche en dernier.

    Le Maire nous a rejoint dans la banque, il était visiblement affolé, il venait de recevoir un appel téléphonique de sa fille qui lui demandait d'aller la récupérer. L'équipe l'avait abandonnée. Il avait trop bu lui aussi, il avait confié son unique fille à des inconscients, il les tuerait de ses mains s'ils avaient abusé d'elle, « les salauds ! ».

    — « Bandes de cons que vous êtes tous ! »

    La période durant laquelle le banquier s’était évertué à ne pas prononcer de grossièreté en public, s’était achevée. Heureusement pour elle, il était encore scotché au niveau des bras sinon il aurait sans doute essayé d'étrangler son épouse. D'ailleurs, elle fit un bond en arrière et ne revint pas reprendre sa place au premier rang, un autre pressentiment sans doute.

    À partir des explications fournies par le banquier, on a compris rapidement qu’à divers niveaux on était tous floués. Il nous a dit qu'ils l'avaient torturé afin qu'il ouvre le coffre. Moi je veux bien, mais il n'a pas pu nous montrer une seule ecchymose. Ils ont dû le bousculer, il a ouvert, ils ont pris l'argent tranquillement pendant qu'on rigolait tous au bistrot. « Même ma femme, ma propre femme ! », se lamentait-il.

    Ensuite, on est allé récupérer Léa, ils l’avaient laissée dans le « Toyota » sur une aire d’autoroute.
    — Ils sont partis dans une autre auto, nous apprit-elle. C'est d’une cabine téléphonique que Léa a appelé son père, personne n’avait usé ou abusé d’elle.
    Alors, le Maire a téléphoné à la Gendarmerie.


    Lucette et la patronne de l'Auberge, chez qui les cinéastes avaient laissé deux ardoises monumentales pour la région, voulurent se payer sur le matériel abandonné. Pas de chance, le « Toyota » et la remorque avaient été volés ; le matériel d'éclairage avait été loué avec une carte bidon, le loueur le récupéra et la caméra était hors d’usage, elle était vide, les malles étaient remplies de sac de sable.

    Lucette essayait de recalculer les boissons qui avaient été avalées par les gens du village dans l’espoir qu’ils allaient les régler…

    On était tous amers de s'être fait si bien berner, du grand art. Mais, en même temps, faut bien reconnaître qu'on n’avait jamais autant rigolé, et picolé gratos dans le village que durant ces jours-là. Les plus vieux l’attestaient et ils étaient les mieux placés pour le faire.

    La déception de ne pas nous voir dans un film fut notre seule peine. La banque n’était pas à un braquage près. Lucette et l'aubergiste, déjà nanties, jurèrent qu’on ne les y reprendrait plus. Elles investirent dans l’achat d’affichettes représentant un cercueil noir avec la mention « Crédit est mort » en caractères jaunes, et d’autres avis à l’humour douteux.

    Il n'y avait plus que le cas du banquier pour émouvoir, mais bon, on ne peut pas faire d'omelette sans casser au moins un œuf.

    Quant au Maire et à sa fille, ils passèrent momentanément sous antirépresseur.

    FIN

  • VOUS AVEZ DES AMIS ?

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  • FILM AU VILLAGE [Nouvelle 05 - Part 1]

    medium_fleurs.2.jpgLa lettre était adressée à «Monsieur le Maire», elle assurait que «son village avait été choisi parmi beaucoup d'autres, pour son authenticité, sa lumière…».
    Il en avait surligné quelques passages, «… si intelligemment préservé au cours des années, par ses administrateurs. Le premier d’entre eux…», avant de tendre fièrement la lettre à sa fille.
    Elle avait lu et relu la bonne nouvelle, imprimée sur du papier 90 grammes glacé, couleur chair avec un joli logo coloré en haut à gauche.

    Il était touché par cette reconnaissance. Bien sûr, il l’avait activement recherchée ; créant au fil du temps et des modes, des concours de pétanques, un marché artisanal, un prix de la Nouvelle, des concerts de jazz. Enfin, il récoltait, c’était l’heure. Tous les « ploucs locaux » — comme les nommait sa fille — le regarderaient autrement.

    De plus, ces louanges venaient d'hommes d’art, du septième ! Des artistes comme l'étaient sûrement ces cinéastes, des spécialistes, des gens de la capitale, il était ravi.
     
    Les Productions NKVI tournaient un long-métrage et cherchaient un village provençal afin d'y tourner quelques scènes extérieures — trois ou quatre — le restant du film étant tourné en studio, dans un pays de l’Est. Les figurants seraient recrutés sur place et les commerçants, voulant louer leurs locaux pour quelques heures de tournage et contre rétribution, devraient se faire inscrire à la mairie en temps voulu.

    Le Maire composa, lui-même, le numéro de téléphone figurant sous le logo. Un secrétaire lui passa une responsable, très courtoise, qui lui confirma le contenu de la lettre.

    Le Maire était prêt à faire de la figuration et il invita ses administrés préférés à faire de même ; arguant qu’au niveau des probabilités, l'occasion d'apparaître dans un film de cinéma ne se reproduirait sûrement pas avant au moins mille ans.

    Il inscrivit le local municipal au début de la liste que lui demandait la production, puis la fit circuler chez tous les commerçants. Il envoya un fax à NKVI — comme convenu par téléphone — afin d'officialiser son accord, précisant que la liste des commerçants volontaires serait prête à leur arrivée.

    Quatre jours après l’envoi de son accord écrit, l'équipe de cinéastes débarqua dans un gros « Toyota » tirant une grosse remorque en aluminium. Elle contenait une partie du matériel nécessaire au tournage. Sur les portières de l’imposant véhicule, il y avait une panthère noire bondissant sur un soleil couchant jaune-orangé en dégradé, le logo de NKVI.

    L’attelage se gara devant l’Hôtel de Ville, deux places de parking lui avaient été réservées.

    C'était samedi, en début d'après-midi. Ils étaient quatre, trois types et une femme, portant le même tee-shirt avec la panthère imprimée sur la poitrine. À peine descendus de leur grosse auto, ils se sont étirés, puis ils sont allés directement dans le bâtiment.

    Embusqué derrière le rideau d’une fenêtre de son bureau, le Maire surveillait leur arrivée. Il jubilait, c'était lui que ces gens venaient voir.

    L'entrevue fut très conviviale. La fille blonde, qu’avait envoyée NKVI, était physiquement remarquable. Les villageois avaient tous cru, en la voyant débarquer du 4X4, qu’elle était la vedette du film et, que la panthère de son logo était en relief. Les cheveux très courts, d’une mobilité élégante, elle portait un froc moulant en cuir noir.
    Assise en face du maire, qui la regardait bouche bée, elle demanda la liste des commerçants volontaires qu’elle survola avant de la ranger dans une serviette. Un peu plus tard dans la journée, ils établiraient un choix entre eux.

    Elle parla du scénario, le story-board — la partie sensée se passer ici — fut montré au maire. En gros, l’escapade en Provence d’un couple illégitime était le thème des quelques scènes qui seraient tournées dans le village. Une scène dans un restaurant, une seconde dans la campagne environnante et une troisième dans un autre commerce. Si tout se passait bien, possibilité d’une quatrième.

    La fille du Maire avait préparé des rafraîchissements. C'étaient vraiment des « pros », après s'être assurés que tout était clair, et tout l’était, ils proposèrent de se mettre au travail le plus rapidement possible.

    — Vous êtes à peine arrivés, prenez votre temps ? susurra le magistrat amadoué, déçu de ne pouvoir profiter de sa présence plus longtemps.

    — Vous savez, Monsieur le Maire, nous ne sommes pas en vacances. Les artistes traînent une injuste réputation de déjantés, nous sommes vraiment des bosseurs, précisa-t-elle, un éclat de rire à la clé. Et, il y a une production qui nous impose un budget. Il faut aussi profiter du beau temps, on ne sait jamais…


    Après ce premier contact, ils se sont rendus à l’hôtel du village, « L'Auberge des Trois Chasseurs », pour réserver trois chambres, d’habitude occupées en période de chasse.
    Celle qui était exposée plein nord fut réservée au matériel de tournage. De grosses caisses zinguées, qui étaient bien lourdes à déplacer, y furent rangées par l’équipe, aidée par des gars du coin, d’ordinaire plus statiques, mais très excités par la situation.
    La blonde s’octroya la seconde et les trois mecs partagèrent la dernière. Ils prendraient leur repas sur place, la patronne était plus que partante pour qu’on tourne une scène dans la salle de restaurant. Elle pensait aux futures retombées.

    À partir de là, ils furent traités comme des princes par tous les villageois — qui voulaient tous apparaître dans le film.  Et puis c'est vrai, ils étaient super charmants, ils n’avaient pas la grosse tête. En outre, ils amenaient de l’argent aux commerçants et de la renommée au village. Ils n'étaient pas du tout prétentieux comme l'on pouvait le redouter de la part de gens du monde du cinéma et de la capitale.

    Après, ils ont demandé que tous les volontaires, pour les locaux et la figuration, soient réunis chez Lucette, qui tenait « Le Grand Café ». L'apéritif qu'avait organisé la Mairie afin de fêter l'événement eut un grand succès, j'étais en vacances et j'ai picolé comme les autres. On avait rapproché quelques tables.

    Ils nous ont parlé de la spécialité de chacun d’eux, le cadrage, le son, la lumière, le script, un vrai cours de cinéma.

    Ils avaient tout planifié. Ils comptaient rester six jours dans le village, si la pluie n’entrait pas en scène. Ils comptaient sur nous afin que l'on n'ébruite pas trop leur présence, ils redoutaient la foule qui complique tout lors d’un tournage. Et pour se protéger, ils dévoileraient le nom des vedettes que le lundi soir. De toute façon, on était d’accord pour les garder rien que pour nous. La guerre de clochers était toujours d’actualité.

    Ils feraient les repérages, les essais de lumière dans les différents commerces choisis durant les deux premiers jours, c’est-à-dire dimanche et lundi, puis ils passeraient au tournage proprement dit à partir du mardi matin. Ce jour-là, les deux acteurs, têtes d'affiche du film et le reste de l'équipe du film arriveraient. Tout le monde était surexcité devant cette perspective et l’on a bien arrosé l'événement.


    Il était 10 heures, le dimanche, quand ils commencèrent les repérages et les essais. Dans l'ordre, l’auberge, le « Grand Bazar » de madame Raynaud, puis la boulangerie de Marcelle, la mairie et la minuscule banque du village. Pour finir l’après-midi dans le bar de Lucette à offrir quelques tournées mémorables.

    Le lundi, ils ont quitté le village vers 10 heures — ce n’étaient pas des lève-tôt — pour aller visiter, repérer plutôt, une vieille chapelle du XIIe, devant laquelle s’écoulait une petite rivière. C’est Léa, la fille du maire qui avait l'air d'en savoir beaucoup sur le sujet, qui nous tenait au courant.

    L'après-midi, ils passèrent aux essais lumière sur les doublures. Quelle pagaille, tous les habitants présents voulaient en être ; bien sûr les propriétaires des lieux étaient prioritaires et aucun ne se désista. Les trois quarts n’avaient pas compris que des essais lumière et faire de la figuration ce n’était pas pareil. Ils firent un tri parmi nous.

    Marcelle fut éclairée derrière son comptoir avec deux clients. Lucette du sien, à servir des verres à tous ceux qui avaient pu entrer — et à faire des additions sur l’ardoise MKVI. À la Mairie, le Maire et sa fille scintillaient de bonheur sous les centaines de watts qui les inondaient. Ils demandèrent si, exceptionnellement, ils ne pourraient pas avoir une k7 ou un DVD de leur prestation. Le cadreur fit oui de la tête, un doigt devant la bouche pour indiquer qu'il ne fallait pas le répéter aux autres.

    La fille du maire passa une partie de la nuit dans la chambre des techniciens, c'est comme cela qu'elle était au courant de plus de détails que nous. C'était la seule qui les appelait par leurs prénoms et, qui les tutoya dès le dimanche.

    Elle nous expliquait leurs rôles dans la production. Production, production, elle n'avait plus que ce mot à la bouche. Elle avait fait un essai personnel d'éclairage, elle passait très bien à l'image et la production ferait sans doute appel à elle pour un essai plus sérieux, faudrait qu'elle monte à Paris.

    Au bout de deux soirées, tous les villageois qui suivaient de près le tournage avaient les yeux incendiés par la quantité d'alcool ingurgité dans les apéritifs offerts par la direction. « Ces gens de la ville, ils savent vivre, eux ! », répétait Lucette, en notant le montant des consommations. Un sous-entendu lourd en direction de la faune locale, qui pourtant la faisait vivre le reste de l’année.

    Le lundi après-midi, ils allèrent tester les lumières sur Mme Raynaud au « Grand Bazar », puis toute l'équipe est allée à la succursale du Crédit Agricole où les derniers essais devaient se dérouler. C’est là que j’ai appris comment fonctionnait une cellule. On a compris que la préparation était vraiment primordiale dans la fabrication d’un film.

     

    (à suivre)

    demain 

  • Merci, aur'voir.

    — Bonjour, je voudrais une baguette siouplait !

        Et TOUS les jours depuis 6 ans :

     



  • LA CURE [Nouvelle 04 Part 2]

    (suite & fin)

    La propriétaire de la Jaguar était bien dans ce vieux lieu de culte.

    — Dieu ! Que ma vie est triste, je n’en peux plus, je n’en veux plus. D’ailleurs, je suis venue te la rendre !

    À genoux devant l’autel, une femme aux cheveux gris priait à haute voix, elle était vêtue d’un tailleur bleu ciel. La première phrase avait été prononcée sur un ton teinté de lassitude. Celle qui suivait, était plus agressive, saupoudrée d’arrogance.

    — Vois comme je suis devenue vieille et moche, c’est ton œuvre! Y a-t-il de quoi être fier ? A quoi me sert de vivre dans un tel état de délabrement. Je n’ai plus de raison de vivre, alors je suis venue te prévenir, j’arrive ! Elle fouilla dans son sac et en ressortit un revolver à la crosse nacrée. Sa main droite faisait faire des moulinets à l’arme, tandis que la gauche, posée sur sa hanche, donnait à la dame un air provocant. Elle était vulgaire et ses arguments pauvres.

    — Tu vois cette arme… c’est un huit coups. Il est chargé, je vais le retourner contre moi et je tirerai autant de fois qu’il faudra pour en finir. Mais tu m’entends au moins ?

    Elle se tut. Elle attendait manifestement une réponse, mais seul un hibou se manifesta dans le lointain. Lasse d’attendre, ne serait-ce qu’un signe, elle continua en haussant le ton. Elle ne faisait que suivre les instructions données par la sorcière.

    — Tu imagines les dégâts, une vie qui part, dit donc mon Dieu ? Il va y avoir du sang sur le carrelage, sur cette Sainte Vierge encore en bon état et sur les murs. Pourquoi ne réponds-tu pas ? Qu’ai-je de moins que les autres ? Alors, tu vas répondre, oui ?

    Ce oui-là fut hurlé, elle était en furie, comme possédée par un vieux démon, tout penaud devant l’effet qu’il produisait encore. Puis elle se jeta au sol, son corps était secoué par des pleurs entrecoupés de rires hystériques. Elle ne s’embarrassait d’aucune retenue.

    A cet instant un courant d’air aida la porte à se refermer en douceur. Dans le même temps, un nuage se glissa entre le soleil et les vitraux de la chapelle, la nef s’assombrit brusquement. La femme comprit que ces manifestations étaient les signes qu’elles attendait.

    Elle attendait ce moment, elle s’y était préparée mais, ce n’était pas courant comme expérience. D’abord, elle perçut un simple raclement de gorge, rapidement suivi d’un énorme éclat de rire sympathique, la voix l’enveloppa, et ces premières paroles lui arrivèrent.

    — Alors, vieille femme, c’est après moi que tu en as ?

    Depuis l’instant où la porte avait claqué, la femme était comme statufiée, ses mains toujours posées sur la tête ; son corps replié sur lui-même, elle était toujours couchée. Seules ses lèvres remuèrent quand elle dit :

    — C’est toi Dieu?

    La réponse fusa, elle fut :
    — Peu importe mon nom, mais ne prononce plus jamais celui-là en ma présence. Bon tu ne pouvais pas savoir. D’après ce que j’ai entendu mon enfant… tu permets que je t’appelle Monique ?

    Dans sa position, Monique semblait tout permettre. Oui c’est cela, elle permettait tout à partir du moment qu’on ne la frappe pas sur la tête. D’ailleurs, histoire de se prémunir contre un proche avenir qu’elle sentait incertain, elle repositionna ses avant-bras devant son visage à la manière d’un boxeur remontant sa garde. Elle permettait, bien sûr qu’elle permettait, de plus c’était bien son prénom, elle était habituée à ce qu’on la nomme ainsi, elle le dit :

    — Oui, oui je permets…
    Puis elle referma la bouche.

    — Bien, bien, c’est un bon début Monique. Comme je commençais à te le dire, j’ai compris ta requête. Tu es en veine, je vais faire quelque chose pour toi, Monique.

    Elle se releva lentement, attentive à ne point se blesser sur les divers débris qui encombraient le lieu, elle épousseta méticuleusement son tailleur. Extérieurement tout son être exprimait la crainte, le respect, la peur. A part qu’elle ne savait pas où porter le regard.

    Dans son for intérieur, l’ambiance était bonne. Son attitude, ses paroles, rien n’était spontané, elle avait tout manigancé. Elle ramassa son arme, la remit dans son sac.



    En effet, le hasard n’était pas de cette partie. Ce n’était pas lui qui l’avait menée ici. Elle n’avait de penchant ni pour les vieilles pierres, ni pour la religion et elle éprouvait une aversion pour tout ce qui touchait le champêtre ; elle n’avait d’affection que pour sa propre personne et elle n’acceptait pas de vieillir.

    Monique était venue sur les conseils d’une vague connaissance  encore plus âgée qu’elle, mais qui paraissait trente ans de moins. Elle lui avait donné, plutôt vendu chèrement, son secret. Pas de médicaments américains à vie, onéreux et incertains sur la durée, fallait juste rencontrer une personne un peu bizarre.

    Pour la trouver, ça ne fut pas simple, elle vivait à l’écart de la ville, à l’écart de tout. Son adresse n’était connue que d’un cercle d’initiés. Certains disaient que c’était la dernière vraie sorcière, un démon femelle. Elle savait des secrets qu’elle n’aimait pas partager ; oui, parvenir jusqu’à elle lui avait coûté cher. Mais ça en valait la peine, ça valait même beaucoup plus et puis, quand on s’aime on ne compte pas.

    Le premier rendez-vous fut fixé dans la nature, prés d’un rocher à la forme méandreuse, comme un gros serpent enlaçant un tronc planté perpendiculairement dans le sol. Monique était en avance, elle tournait autour du rocher afin de meubler l’attente et aussi pour vérifier s’il avait vraiment la forme du dessin qu’on lui avait confié, elle recherchait le serpent.
    Bien sûr, si on le veut vraiment, ça y ressemble, se disait-elle ; elle se retrouva face à la vieille sans l’avoir entendu arriver. Elle ne pouvait pas se tromper, il lui manquait juste le balai et, de toute façon, il n’y avait personne d’autre des kilomètres à la ronde.

    C’est comme cela que tout avait débuté. Tout en gravitant cote à cote, la sorcière lui révéla qu’il se passait quelquefois des choses inexpliquées dans une chapelle et que cela ne coûtait presque rien d’essayer, que qui n’essaye rien n’a rien mais qu’il vaut mieux tard que jamais. Ça avait marché pour d’autres alors pourquoi pas pour elle ?
    Le plus dur avait été de l’écouter psalmodier sans fin, elle avait peur de l’interrompre, elle craignait de couper le fil de la conversation.

    Monique n’avait rien dit durant tous les après-midi qu’elle avait dû passer en sa compagnie. Écoutant attentivement et prenant des notes, de peur qu’un précieux renseignement soit noyé au milieu de se déluge de mots. La mégère racontait n’importe quoi en mélangeant le patois, le français, le passé, le présent, le futur, les cieux et le sous-sol.

    Finalement, la sorcière satisfaite de son écoute, lui fournit un plan qu’elle avait tracé préalablement  sur la feuille d’un vieux cahier d’écolier à spirales.
    Puis, sur un calendrier des Postes, elle entoura au crayon une semaine entière, durant laquelle, d’après de très sérieux calculs basés sur le cycle de la lune et d’autres ingrédients plus obscurs, tout serait réuni pour la manifestation à laquelle Monique voulait prétendre.

    Rajeunir, ça n’était pas simple ! La sorcière reçut le cochon qu’elle avait exigé comme paiement, Monique rajouta un flacon de parfum.



    Monique n’avait même pas chargé son colt. Son plan avait bien fonctionné.
    La Voix reprit :
    — Je sais de quoi tu souffres, je vais te donner un coup de main, un coup de jeune. Va t’installer au volant de ton véhicule, regarde-toi dans le rétroviseur, tu vas être contente de moi… et de toi.

    Monique fit ce qu’on lui demandait. Calée dans le fauteuil en cuir fauve de la Jaguar, elle ne croyait pas le reflet que lui renvoyait le rétroviseur. Un long moment s’écoula avant qu’elle ne lui fasse confiance ; elle se dévisagea avec attention.

    Sa chevelure était repassée au châtain foncé, c’était dru au-dessus du front. Elle orienta le rétroviseur, comme un projecteur, vers son visage. Disparues les poches sous les yeux, disparues les rides, de véritables canyons pour certaines, qui quadrillaient de façon anarchique et autoritaire son visage cinq minutes auparavant.


    C’était donc vrai. Elle était redevenu désirable, la vie était belle. Ses lèvres étaient brillantes, sa langue se chargeait de l’effet en circulant humide sur toute leur longueur. Elles étaient prêtes à embrasser. Monique avait perdu trente-cinq ans d’un coup, entre l’autel et l’auto. Elle avait réussi.

    Elle enclencha la première et fit faire un tour à la clef de contact. La voiture brouta et parcourut quelques dizaines de centimètres avant de caler. Monique respira profondément et recommença, mais dans le bon ordre cette fois. Elle rejoint la départementale et commença sa descente vers la ville en fredonnant, « Ce soir je serai la plus belle pour aller danser…. », un air qui datait de ses vingt ans.

    — Ça a marché ! ça a marché…

    Ses seins étaient à l’étroit, elle les sentait, elle en avait perdu l’habitude, ils gonflaient. Elle en remercia la Voix.

    — Merci… merci la Voix.

    Cette dernière, qui était restée muette depuis la chapelle, émit :
    — Ne me remercie pas, c’est tout naturel !

    Monique, devenue presque adolescente sans le savoir, sursauta.
    — Je ne savais pas que vous étiez encore là, m’sieur.

    L’acné qui avait gâché son adolescence ressuscitait. Elle se fichait pas mal que la voix soit là ou ailleurs, finalement ça n’était qu’une voix. Une voix ce n’est pas physique, une fois qu’on s’est faite à elle, ça devient complètement inoffensif. Un simple lecteur MP3 avec ses écouteurs suffit à se mettre hors d’atteinte de ce misérable courant d’air bruyant. Mais pourquoi devoir la supporter encore ? Pourquoi n’était-elle pas restée là où elle l’avait entendue ? Mais l’autre ne voulait rien savoir.

    — Je suis toujours là ! Sur la banquette arrière si tu veux, attentif, admiratif.

    C’étaient les derniers mots que Monique entendrait. Elle eut rapidement un gros problème pour atteindre les pédales, ses jambes n’avaient plus la longueur nécessaire pour effectuer l’opération.
    Ses bras étaient trop courts pour atteindre le rétroviseur grâce auquel elle aurait pu s’apercevoir qu’elle n’avait plus qu’une dizaine d’années.
    Monique comprenait quand même, pas tout, mais au moins qu’elle s’était fait berner.
    Elle se mit à sangloter, appela son père, sa mère. Elle rajeunissait trop vite, c’était insupportable ; sa vie défilait à grande vitesse sans possibilité de ralenti ou d’arrêt sur image, trop rapide… illisible.

    Quelques centaines de mètres avant le lézard vert, elle chantonnait une berceuse, mouillée dans son pipi, Frère Jacques, il devait dormir encore.

    Et ce fut le choc. De la fumée et des flammes, produites par un court-circuit, envahirent l’habitacle.

    La voix se manifesta encore une fois, pour son plaisir, rien que pour elle, elle dit :

    — Et voilà le travail !



    Le lézard vert ne pouvait donc pas tout savoir. Si vous en croisez, dans le sud, ne vous acharnez pas sur eux, ils ne le méritent pas ; leur queue repousse, c’est un fait établi. Mais c’est douloureux, et rabaissant question amour propre. Épargnez-les, ils dansent si bien.

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    FIN