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FILM AU VILLAGE [Nouvelle 05 - Part 1]

medium_fleurs.2.jpgLa lettre était adressée à «Monsieur le Maire», elle assurait que «son village avait été choisi parmi beaucoup d'autres, pour son authenticité, sa lumière…».
Il en avait surligné quelques passages, «… si intelligemment préservé au cours des années, par ses administrateurs. Le premier d’entre eux…», avant de tendre fièrement la lettre à sa fille.
Elle avait lu et relu la bonne nouvelle, imprimée sur du papier 90 grammes glacé, couleur chair avec un joli logo coloré en haut à gauche.

Il était touché par cette reconnaissance. Bien sûr, il l’avait activement recherchée ; créant au fil du temps et des modes, des concours de pétanques, un marché artisanal, un prix de la Nouvelle, des concerts de jazz. Enfin, il récoltait, c’était l’heure. Tous les « ploucs locaux » — comme les nommait sa fille — le regarderaient autrement.

De plus, ces louanges venaient d'hommes d’art, du septième ! Des artistes comme l'étaient sûrement ces cinéastes, des spécialistes, des gens de la capitale, il était ravi.
 
Les Productions NKVI tournaient un long-métrage et cherchaient un village provençal afin d'y tourner quelques scènes extérieures — trois ou quatre — le restant du film étant tourné en studio, dans un pays de l’Est. Les figurants seraient recrutés sur place et les commerçants, voulant louer leurs locaux pour quelques heures de tournage et contre rétribution, devraient se faire inscrire à la mairie en temps voulu.

Le Maire composa, lui-même, le numéro de téléphone figurant sous le logo. Un secrétaire lui passa une responsable, très courtoise, qui lui confirma le contenu de la lettre.

Le Maire était prêt à faire de la figuration et il invita ses administrés préférés à faire de même ; arguant qu’au niveau des probabilités, l'occasion d'apparaître dans un film de cinéma ne se reproduirait sûrement pas avant au moins mille ans.

Il inscrivit le local municipal au début de la liste que lui demandait la production, puis la fit circuler chez tous les commerçants. Il envoya un fax à NKVI — comme convenu par téléphone — afin d'officialiser son accord, précisant que la liste des commerçants volontaires serait prête à leur arrivée.

Quatre jours après l’envoi de son accord écrit, l'équipe de cinéastes débarqua dans un gros « Toyota » tirant une grosse remorque en aluminium. Elle contenait une partie du matériel nécessaire au tournage. Sur les portières de l’imposant véhicule, il y avait une panthère noire bondissant sur un soleil couchant jaune-orangé en dégradé, le logo de NKVI.

L’attelage se gara devant l’Hôtel de Ville, deux places de parking lui avaient été réservées.

C'était samedi, en début d'après-midi. Ils étaient quatre, trois types et une femme, portant le même tee-shirt avec la panthère imprimée sur la poitrine. À peine descendus de leur grosse auto, ils se sont étirés, puis ils sont allés directement dans le bâtiment.

Embusqué derrière le rideau d’une fenêtre de son bureau, le Maire surveillait leur arrivée. Il jubilait, c'était lui que ces gens venaient voir.

L'entrevue fut très conviviale. La fille blonde, qu’avait envoyée NKVI, était physiquement remarquable. Les villageois avaient tous cru, en la voyant débarquer du 4X4, qu’elle était la vedette du film et, que la panthère de son logo était en relief. Les cheveux très courts, d’une mobilité élégante, elle portait un froc moulant en cuir noir.
Assise en face du maire, qui la regardait bouche bée, elle demanda la liste des commerçants volontaires qu’elle survola avant de la ranger dans une serviette. Un peu plus tard dans la journée, ils établiraient un choix entre eux.

Elle parla du scénario, le story-board — la partie sensée se passer ici — fut montré au maire. En gros, l’escapade en Provence d’un couple illégitime était le thème des quelques scènes qui seraient tournées dans le village. Une scène dans un restaurant, une seconde dans la campagne environnante et une troisième dans un autre commerce. Si tout se passait bien, possibilité d’une quatrième.

La fille du Maire avait préparé des rafraîchissements. C'étaient vraiment des « pros », après s'être assurés que tout était clair, et tout l’était, ils proposèrent de se mettre au travail le plus rapidement possible.

— Vous êtes à peine arrivés, prenez votre temps ? susurra le magistrat amadoué, déçu de ne pouvoir profiter de sa présence plus longtemps.

— Vous savez, Monsieur le Maire, nous ne sommes pas en vacances. Les artistes traînent une injuste réputation de déjantés, nous sommes vraiment des bosseurs, précisa-t-elle, un éclat de rire à la clé. Et, il y a une production qui nous impose un budget. Il faut aussi profiter du beau temps, on ne sait jamais…


Après ce premier contact, ils se sont rendus à l’hôtel du village, « L'Auberge des Trois Chasseurs », pour réserver trois chambres, d’habitude occupées en période de chasse.
Celle qui était exposée plein nord fut réservée au matériel de tournage. De grosses caisses zinguées, qui étaient bien lourdes à déplacer, y furent rangées par l’équipe, aidée par des gars du coin, d’ordinaire plus statiques, mais très excités par la situation.
La blonde s’octroya la seconde et les trois mecs partagèrent la dernière. Ils prendraient leur repas sur place, la patronne était plus que partante pour qu’on tourne une scène dans la salle de restaurant. Elle pensait aux futures retombées.

À partir de là, ils furent traités comme des princes par tous les villageois — qui voulaient tous apparaître dans le film.  Et puis c'est vrai, ils étaient super charmants, ils n’avaient pas la grosse tête. En outre, ils amenaient de l’argent aux commerçants et de la renommée au village. Ils n'étaient pas du tout prétentieux comme l'on pouvait le redouter de la part de gens du monde du cinéma et de la capitale.

Après, ils ont demandé que tous les volontaires, pour les locaux et la figuration, soient réunis chez Lucette, qui tenait « Le Grand Café ». L'apéritif qu'avait organisé la Mairie afin de fêter l'événement eut un grand succès, j'étais en vacances et j'ai picolé comme les autres. On avait rapproché quelques tables.

Ils nous ont parlé de la spécialité de chacun d’eux, le cadrage, le son, la lumière, le script, un vrai cours de cinéma.

Ils avaient tout planifié. Ils comptaient rester six jours dans le village, si la pluie n’entrait pas en scène. Ils comptaient sur nous afin que l'on n'ébruite pas trop leur présence, ils redoutaient la foule qui complique tout lors d’un tournage. Et pour se protéger, ils dévoileraient le nom des vedettes que le lundi soir. De toute façon, on était d’accord pour les garder rien que pour nous. La guerre de clochers était toujours d’actualité.

Ils feraient les repérages, les essais de lumière dans les différents commerces choisis durant les deux premiers jours, c’est-à-dire dimanche et lundi, puis ils passeraient au tournage proprement dit à partir du mardi matin. Ce jour-là, les deux acteurs, têtes d'affiche du film et le reste de l'équipe du film arriveraient. Tout le monde était surexcité devant cette perspective et l’on a bien arrosé l'événement.


Il était 10 heures, le dimanche, quand ils commencèrent les repérages et les essais. Dans l'ordre, l’auberge, le « Grand Bazar » de madame Raynaud, puis la boulangerie de Marcelle, la mairie et la minuscule banque du village. Pour finir l’après-midi dans le bar de Lucette à offrir quelques tournées mémorables.

Le lundi, ils ont quitté le village vers 10 heures — ce n’étaient pas des lève-tôt — pour aller visiter, repérer plutôt, une vieille chapelle du XIIe, devant laquelle s’écoulait une petite rivière. C’est Léa, la fille du maire qui avait l'air d'en savoir beaucoup sur le sujet, qui nous tenait au courant.

L'après-midi, ils passèrent aux essais lumière sur les doublures. Quelle pagaille, tous les habitants présents voulaient en être ; bien sûr les propriétaires des lieux étaient prioritaires et aucun ne se désista. Les trois quarts n’avaient pas compris que des essais lumière et faire de la figuration ce n’était pas pareil. Ils firent un tri parmi nous.

Marcelle fut éclairée derrière son comptoir avec deux clients. Lucette du sien, à servir des verres à tous ceux qui avaient pu entrer — et à faire des additions sur l’ardoise MKVI. À la Mairie, le Maire et sa fille scintillaient de bonheur sous les centaines de watts qui les inondaient. Ils demandèrent si, exceptionnellement, ils ne pourraient pas avoir une k7 ou un DVD de leur prestation. Le cadreur fit oui de la tête, un doigt devant la bouche pour indiquer qu'il ne fallait pas le répéter aux autres.

La fille du maire passa une partie de la nuit dans la chambre des techniciens, c'est comme cela qu'elle était au courant de plus de détails que nous. C'était la seule qui les appelait par leurs prénoms et, qui les tutoya dès le dimanche.

Elle nous expliquait leurs rôles dans la production. Production, production, elle n'avait plus que ce mot à la bouche. Elle avait fait un essai personnel d'éclairage, elle passait très bien à l'image et la production ferait sans doute appel à elle pour un essai plus sérieux, faudrait qu'elle monte à Paris.

Au bout de deux soirées, tous les villageois qui suivaient de près le tournage avaient les yeux incendiés par la quantité d'alcool ingurgité dans les apéritifs offerts par la direction. « Ces gens de la ville, ils savent vivre, eux ! », répétait Lucette, en notant le montant des consommations. Un sous-entendu lourd en direction de la faune locale, qui pourtant la faisait vivre le reste de l’année.

Le lundi après-midi, ils allèrent tester les lumières sur Mme Raynaud au « Grand Bazar », puis toute l'équipe est allée à la succursale du Crédit Agricole où les derniers essais devaient se dérouler. C’est là que j’ai appris comment fonctionnait une cellule. On a compris que la préparation était vraiment primordiale dans la fabrication d’un film.

 

(à suivre)

demain 

Commentaires

  • je prefere attendre l'aut pou tou lire en même temps, voilà.

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